Différents visages du Pinot Gris – Alsace 2000
Pinot Gris "Coteaux des Chartreux" 1998
Pinot Gris Grand Cru Bruderthal 1998
Pinot Gris Grand Cru Bruderthal 1994
Pinot Gris Grand Cru Rangen 1996
Pinot Gris Grand Cru Furstentum 1998
Pinot Gris Grand Cru Furstentum 1988
Pinot Gris Grand Cru Rangen 1995
Pinot Gris Grand Cru Rangen 1998
Les vins ont tous été dégustés à l’aveugle et dans les meilleures conditions possibles, un membre de club (qui animera la dégustation) reçoit des informations quant à la préparation des vins, température de service, carafage, ouverture…
L’appellation « Alsace Grand Cru » rassemble une élite (3% du vignoble). Elle consacre officiellement la notion de terroir. Créée en 1975, elle a reconnu 50 entités particulières (1 en 1975, 24 en 1983 et 25 en 1992), qui ont pu démontrer :
– une renommée historique (Altenberg de Bergbieten au XIe Siècle par exemple),
– une délimitation géographique précise (1 ou 2 villages) déterminée par une entité géologique cohérente,
– une entité climatique : exposition « est » à « sud », en coteaux,
– une aptitude au vieillissement (jusqu’à plusieurs décennies).
Il est enfin reconnu qu’après vieillissement, le vin prend les caractéristiques typiques (reconnaissable par le dégustateur) du terroir d’où il provient, au dépend du cépage. Un pinot gris du grand cru Furstentum (sur la commune de Kientzheim (68)) est donc officiellement reconnu différent de celui du grand cru Mambourg (commune de Sigolsheim) alors que les parcelles jouxtent.
L’appellation « Alsace Grand Cru » définit :
– 4 cépages nobles, seuls autorisés à bénéficier de l’appellation : Gewurztraminer, Muscat, Riesling et Pinot Gris,
– des degrés potentiels minimaux (gage de maturité du raisin à la récolte)
– des rendements maximaux autorisés : 70 hl/ha
Les mentions VT (Vendanges Tardives) et SGN (Sélection de grains nobles) ne sont pas des appellations mais des variantes du vin qui est récolté plus tardivement. La richesse en sucre est donc supérieure.
Un simple gewurztraminer ne bénéficiant pas de l’appellation Grand Cru peut porter la mention VT (mais un grand cru également). La SGN correspond à des vins plus riches que ceux issus de VT.
Ces quelques explications montrent qu’au même titre que la Bourgogne avec ses « Climats », l’Alsace et son vignoble sont porteurs d’une richesse et d’une diversité peut-être sans égal en France. La dégustation qui vous est proposée va jusqu’au bout dans cette logique de diversité pour démontrer que le même cépage alsacien donne non pas un vin , mais plusieurs chefs d’œuvres, tous différents.
Ainsi, nous dirons désormais, et dans cet ordre : « j’ai bu un Furstentum (avant tout), …en pinot gris, …en VT »
S. W.
Un Petit mot sur le Cépage
Le Pinot Gris
L’ancien tokay alsacien, débaptisé pour n’avoir aucun lien avec son homologue hongrois, est d’origine bourguignonne. Il apparut en Alsace à la fin du XVIIe siècle. Avec ses grains rose-brun, c’est un cépage fragile, à la floraison délicate en raison d’un débourrement très précoce, et à maturation lente. Vendangé assez tard, de production irrégulière, il réclame de bonnes situations et des rendements modérés, ce qui explique son extension relativement faible dans le vignoble. Il donne un vin corsé, volontiers capiteux, au fumet caractéristique, dont l’heureuse acidité combat le léger moelleux, et réussit particulièrement en vendanges tardives.
Le domaine Gérard Neumeyer – Molsheim (Bas-Rhin)
Il se situe dans les hauts de Molsheim, au pied du grand cru Bruderthal.
Gérard Neumeyer incarne à merveille la renaissance d’une viticulture de qualité, dans une cité pourtant largement écornée par l’essor industriel. Son domaine, qui couvre 15 hectares (majorité de Riesling), compte 3,5 ha en grand cru Bruderthal : sur ces pentes caillouteuses qui descendent en douceurs vers la ville, cohabitent gewurztraminer, riesling, pinot gris et muscat.
Les vignes sont ici d’un âge respectable, la plus ancienne plantation de gewurztraminer remontant à 1952.
Viticulteur averti, Gérard Neumeyer – qui a débuté avec son père en 1976 après une formation à Beaune – taille sur une seule arcure. Dans sa cave, il a conservé une part importante de fûts, dans lesquels passent tous ses grands crus, pour un séjour de 10 à 11 mois. Le reste de la cuverie est constitué d’inox et d’acier émaillé.
Pressurage pneumatique, fermentations à températures contrôlées (autour de 20°C), filtrations mesurées (sur terre et sur plaques), mise en bouteilles en septembre.
Alors que de mauvais a priori font attendre la réussite du riesling, ce sont contre toute attente le pinot gris et le gewurztraminner qui brillent de tous leurs feux. Les vins sont bien typés et les grands crus ont une réelle élégance, ce qui n’est en général pas le fort de ces deux cépages.
Cette réussite est due à une grande prise de risque dans la date des vendanges qui sont retardées au maximum.
Toutes les cuvées de pinot gris sont régulièrement réussies, qu’elles proviennent du coteau des Chartreux, d’un élevage aux hospices de Strasbourg, ou du grand cru fétiche de ce viticulteur de valeur.
Le grand cru Bruderthal
A une superficie de 18 hectares. Il est exposé au sud-est. A moins de 300 mètres d’altitudes, sous la lisière de la forêt qui coiffe le «molsheimerberg », le Bruderthal occupe la partie la mieux exposée du vaste coteau qui domine Molsheim ; un coteau de faible pente, piqueté ça et là de vieux arbres fruitiers qui lui donnent l’allure d’un grand verger.
Le sol est marno-calcaire, fortement caillouteux, peu profond, sur un soubassement de calcaire et de dolomies (muschelkalk, Lettenkohle).
Le Brunderthal («vallon des frères ») doit vraisemblablement son nom à une ancienne implantation cistercienne ; on le citait en 1316 parmi les possessions de l’évêché de Strasbourg.
Voué principalement (traditionnellement) au riesling et au gewurztraminer, il donne des vins charpentés, aromatiques, de belle évolution. Le Tokay pinot gris y puisse également une expression très racée.
Le Domaine Paul Blanck
Naguère intitulé « domaine des comtes de Lupfen », le Domaine Paul Blanck plonge ses racines en pleine terre de Kientzheim : en 1846, l’aïeul Hans, vigneron de son état, se faisait décorer de la médaille du travail, tandis que Paul Blanck lui-même, dès 1927, comptait parmi les pionniers du cru Schlossberg. Mais le domaine a pris son réel essor dans les années 70, avec l’association de Marcel et Bernard Blanck, les deux fils de Paul, et le concours de leur beau-frère Jacques.
Les deux frères ont alors développé le petit vignoble paternel jusqu’à lui donner la confortable taille de 36 hectares, soit 2000 hl/an, 1/3 en grand cru, 1/3 en lieu dit, 1/3 en appellation Alsace. Leurs deux fils respectifs sont depuis venus les rejoindre : le volubile et chaleureux Philippe Blanck, fils de Marcel, chargé de la commercialisation et ambassadeur tous azimuts de l’entreprise familiale, et le plus réservé Frédéric, fils de Bernard, jeune technicien formé à Rouffach, auquel incombe, depuis 1989, la délicate responsabilité du vignoble et des vinifications.
Le vignoble recèle tout l’éventail des cépages, avec une part importante de riesling (8 hectares) et de gewurztraminer (4.5 ha). Il est exploité de façon à produire raisonnablement et longtemps : limitation des produits de traitement, enherbement et paillage régularisant les besoins hydriques, rendements restreints par la taille. Un tiers des vignes sont âgées de 20 à 30 ans. Les plus vieilles (30 à 50 ans), dont les rendements chutent facilement au-dessous de 40 hl/ha, sont d’ailleurs – dans les meilleurs terroirs et millésimes – vinifiées à part. Si l’ensemble du vignoble est réparti sur 6 communes jusqu’à Saint-Hyppolyte et Colmar, son cœur est bien à Kientzheim, notamment sur plusieurs lieux-dits réputés : l’Altenbourg, un beau mamelon argilo-calcaire au-dessous du Furstentum, se dorant comme lui au plein sud et où réussissent particulièrement le gewurztraminer et le pinot gris, le Patergarten, cône de déjection déroulant un épais tapis de graves où se plaisent riesling et pinot gris, ou encore le Grafreben. Les joyaux de la propriété sont bien sûr les deux grands crus communaux ; le Schlossberg (2 hectares de riesling) et le Furstentum (6 hectares) où, à côté du riesling mais surtout du gewurztraminer et du pinot gris, les Blanck ont planté une pièce de pinot noir. Le domaine possède également des vignes sur le grand cru Mambourg sur le Sommerberg, et plus récemment sur le Wineck- Schlossberg.
La cave est logée dans la vallée, au milieu des vignes du Patergarten, en bordure des eaux bondissantes du petit Muhlbach. C’est un grand bâtiment climatisé, où le raisin est apporté en bottiches, au fil de vendanges très échelonnées, et soigneusement pressuré (1 pressoir pneumatique, 2 pressoirs horizontaux classiques). Reprenant les préceptes de son oncle Marcel, Frédéric Blanck, microvinificateur expérimenté, traite séparément chaque terroir. Les jus, sélectionnés, sont débourbés statiquement, la partie trouble étant centrifugée puis réintroduite dans la cuve. Les fermentations sont réalisées dans des cuves d’acier émaillé (refroidissement par aspersion), disposées en batteries sur deux niveaux. Les filtrations (sur terre et sur plaques avant la mise) ne sont pas systématiques. Le chai de stockage, contigu à la cuverie, accueille d’importantes réserves (les vins de vieilles vignes ne sont pas commercialisés avant 3 ou 4 ans).
Les vins du Domaine Blanck se présentent, pour les cuvées de prestige, dans d’élégantes flûtes à l’antique. Ce sont des vins secs, classiques et rigoureux, ayant besoin de la transmutation du temps pour épanouir le potentiel de leurs terroirs originels, en révéler toutes les nuances. Philippe Blanck, à l’occasion, dresse sa propre typologie : au-delà des simples vins de cépages, qui livrent selon lui la «réponse » immédiate de leur fruit, il aime à distinguer les «vins de question », qui invitent à sonder la mystérieuse alchimie des terroirs, les «vins de partage », dont la générosité naturelle porte à l’élan et à la convivialité, enfin les «vins de silence », ceux qui invitent au recueillement et à l’introversion sensorielle.
Le domaine Paul Blanck s’est aujourd’hui imposé comme un domaine phare, qu’il faut apprécier d’abord pour sa défense et illustration des grands vins secs de garde : un type d’Alsace trop souvent délaissé, et pourtant si cher au cœur et aux papilles de l’amateur – le vrai s’entend, celui qui cultive la patience, vertu cardinale de tout oenophile digne de ce nom.
Le grand cru Furstentum
Grand cru classé en 1992, Superficie : 30 hectares. Exposition : sud, sud-ouest. Mentionné dès le XIVe siècle (dans l’inventaire des vignes d’un couvent bâlois), le Furstentum – à cheval sur les finages de Kientzheim et de Sigolsheim – occupe une situation tout à fait privilégiée. Hissant sa pente raide de 350 à 400 mètres d’altitude et la chauffant au midi, se gardant des influences froides grâce au mont de Sigolsheim et à la vallée encaissée de Kaysersberg, c’est un îlot de végétation méditerranéenne, qui s’accommode particulièrement de son sol argilo-calcaire. Très caillouteux, bien filtrant, celui-ci repose sur des formations à dominante calcaire du Dogger inférieur ; la roche-mère affleure à maints endroits. C’est un terroir très équilibré, convenant aux trois grands cépages. Gewurztraminer et Tokay-Pinot gris y réalisent des prouesses ; large prisme aromatique, richesse, finesse, évolution assurée. Le haut du coteau engendre un Riesling vif et plein.
Le Domaine Schoffit
A l’est de la ville, là où la banlieue fait place au Ried, le Domaine Schoffit est l’un des derniers à perpétuer la vieille tradition colmarienne du vin. L’emplacement de la cave est pourtant quelque peu surprenant, lorsqu’on sait que les vignes de Colmar se trouvent à l’exact opposé de l’agglomération… et que le reste du vignoble familial se situe à Thann, une cinquantaine de kilomètres plus au sud.
Bernard Schoffit, œnologue diplômé de Dijon, a la haute main sur la cave, et lui-même se voue désormais aux travaux de la vigne. Sur Colmar, les Schoffit possèdent 12 hectares sur la fameuse Harth, éclatés en de nombreuses parcelles – ce qui limite d’ailleurs les risques de grêle. L’ensemble est composé, pour une bonne moitié, de vignes de plus de 30 ans, qui représentent tout l’éventail alsacien (riesling 25%, gewurztraminer 20%, pinot blanc 20%…). Se distingue une parcelle de 52 ares d’un vieux chasselas, plus que sexagénaire.
Cherchant à devenir propriétaires en grand cru, les Schoffit ont trouvé leur trésor à Thann, sur le célèbre Rangen, où ils exploitent, depuis 1986, le Clos Saint-Théobald (3,2 ha), ainsi baptisé en hommage au saint patron de l’illustre collégiale voisine. Sur les pentes rudissimes de ce clos, à côté des vieilles vignes existantes (1,2 ha à majorité de gewurztraminer et de riesling), ils ont replanté – à raison de 8000 pieds par hectares – du riesling et du pinot gris. Bien évidemment, tous les travaux sont ici effectués à la main, et l’on y recueille, généralement sans trie, des vendanges d’une surmaturité inouïe.
Plus récemment, une parcelle du grand cru Sommerberg a été acquise par les Schoffit. Le riesling, très typé sur ce sol granitique à deux micas, réussi particulièrement.
Technicien averti, le direct et sympathique Bernard Schoffit n’en est pas moins vinificateur pragmatique. Il pratique une œnologie fondée sur l’expérience, écartant, par exemple, le recours systématique aux basses températures de fermentation. Il dispose d’un chai, entré en service pour le millésime 1992, où il a transporté ses pressoirs (pressoir pneumatique, pressoir à vis, micro-pressoir pour les vendanges tardives), sa cuverie (cuves inox et foudres en bois à température contôlée) et peut stocker ses bouteilles en local climatisé. Une toute nouvelle cave de stockage est en cours de construction. Bâtie dans les règles de l’art, elle permettra de conserver les précieux flacons dans des conditions encore supérieures. Par ailleurs, les yeux du visiteur ne seront pas en reste à la vue des superbes plafonds voûtés de ce nouvel espace.
Les vins du domaine sont volumineux, corsés, volontiers surmûris. Ceux de la Harth expriment bien le potentiel du terroir, tout en récoltant l’héritage de leurs vignes âgées.
Avec le Rangen, la richesse reste de mise, les densités y atteignent facilement des niveaux de vendange tardive. Le Riesling, issu de rendements angéliques (de 25 à 35 hl/ha), épouse la courbe des millésimes. Le Gewurztraminer montre une ampleur attendue, mais le Tokay-Pinos gris stupéfie par ses performances.
Les Schoffit entendent être des spécialistes des vendanges tardives, comme l’atteste leur carte, abondamment fournie en la matière. Les réussites foisonnent. Là encore, le Rangen marque des points dans la richesse, notamment à travers de majestueux grains nobles.
Le grand cru Rangen
Grand cru classé en 1983. Superficie : 19 hectares. Exposition : sud. Fixé par l’ « Œil de la sorcière » – ce curieux morceau de donjon couché, résultant de la destruction, au XVIIe siècle, du château voisin de l’Engelbourg -, le Rangen, à cheval sur les communes de Thann et de Vieux-Thann, est un monument viticole à nul autre pareil. Il collectionne en effet nombre d’originalités.
C’est d’abord l’unique terroir volcanique d’Alsace. Ensuite, la raideur de sa pente est sans rivale : jusqu’à 68 %, ce qui en fait un coteau proprement vertigineux, et extraordinairement dur à travailler. Paradoxalement encore, le Rangen bénéficie de précipitations abondantes (950 mm par an), mais qui ne font en l’espèce que contrebalancer les facteurs d’une véritable fournaise naturelle : orientation plein sud accroissant la durée d’insolation, énorme déclivité augmentant l’ensoleillement direct, couleur sombre du sol favorisant l’accumulation thermique… Enfin, la Thur qui coule juste à ses pieds, par sa chaleur propre et par les brumes qu’elle émet, le rend peu gélif et favorise la botrytisation.
C’est au total un terroir tardif, où la maturation s’opère régulièrement jusqu’en novembre, cela favorisant bien sûr l’extrême concentration des raisins. Les trois grands cépages sont ici parfaitement accommodés. Le riesling conjugue race est élégance, le Gewurztaminer et le Tokay-Pinot gris, quant à eux, impressionnent par leur ampleur et leur puissance d’expression.